HISTORIQUE

Comment en est-on arrivé là ?

Il ne fait aucun doute que depuis qu'il souffre de s'être redressé et d'avoir perché son cerveau, l'Homme a cherché chez son prochain, des outils pour le débarrasser de ses douleurs. Pour une simple question de facilité et de sens pratique, main et toucher thérapeutique ont sans aucun doute été la première forme de médecine, bien avant la pharmacopée. Si Dolto(cf. Le corps entre les mains) a choisi de l'illustrer en montrant de plus que les médecins égyptiens semblaient déjà savoir jouer de la puissance des post- effets gravitationnels, si dans les années 1900 des empiriques comme le célèbre "Pierrounet de Nasbinals", ou encore aujourd'hui les tibétains, les indonésiens ou autres "panseuses " du Berry utilisent à l'identique ces gestes techniques, c'est dans l'auvergne des années cinquante que l'histoire se perpétue quand une religieuse ("sour Gérard" Chabrit), dispensant ses remèdes de "bonne renommée" à qui veut, reçoit régulièrement la visite d'un jeune pharmacien (J. Moneyron) qui accompagne ses copains footballeurs venus se faire «remettre en place » les entorses du dimanche, et en profite pour copier visuellement ces "gestes qui guérissent " avant de s'essayer à les reproduire sur les clients de la pharmacie familiale. Ça se passe derrière le comptoir de la pharmacie et c'est gratuit. La "vox populi" a vite fait d'affirmer qu'il y a eu "transmission du don", et les clients affluent chez ce notable. " Rebouteux en blouse blanche", il ira jusqu'à soigner jusqu'à 120 patients par jour, soit 5' par patient, déshabillage compris..

À partir de 1967, sommé de choisir entre délivrance des médicaments et thérapie manuelle, il devient kinésithérapeute et délaisse la pharmacopée pour se consacrer à la pratique exclusive de la thérapie manuelle. Dès 1968, il est rejoint par Jean-Luc Safin, qu'il initie à son tour à ce savoir faire. Ils resteront associés exclusifs dans l'exercice de leur art jusqu'à sa cessation d'activité en 1989, après deux AVC. Initiation est le terme qui convient parce qu'à l'époque, la transmission du savoir se fait sans support ni discours de la méthode. C'est : regarde comment je fais et débrouille toi pour en faire autant. Tout est possible et, à l'époque, règne une croyance très mécaniste de la "vertèbre et du nerf déplacés" qui colle à l'interprétation que Moneyron donnera à ses actes pendant toute sa carrière.

70 patients passent chaque jour entre leurs mains et la réputation du cabinet ne manque pas d'attirer quelques curieux. Au début 1970, Nogier, Bourdiol, Bassani, De Winter fréquentent le cabinet pour quelques heures et Bourdiol en profite pour commettre " Ceinture scapulaire et médecine manuelle, Maisonneuve 1972". Il invente les termes de "point ressort" et de "méthode Moneyron" en attribuant par erreur à son hôte la paternité de ces pratiques empiriques, alors que toute l'Auvergne se raconte le livre des origines. Comme Moneyron laissait dire et que la sour Chabrit n'était plus là pour corriger les faits, la méthode Moneyron était officiellement née.
Dans toutes les années qui vont suivre, et malgré les tentatives d'ouverture de quelques sociétés savantes, Moneyron s'est malheureusement limité à un exercice purement subjectif de techniques qu'il maîtrisait sans se poser de questions quant au pourquoi de leur efficacité. À sa décharge, connaissances et moyens d'investigation n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui. Comme nous nous contentions de faire, heureux quand ça marchait ou dépités en cas d'échec, mais toujours sans compréhension, les tentatives de récupération par des esprits forts qui ne passaient que quelques heures au cabinet n'ont pas manqué .

Toutes ces pratiques ancestrales ont pourtant comme caractéristique majeure d'être exécutées sur un malade en station debout naturelle, mais personne n'y a jamais attaché le moindre intérêt jusqu'à ce que, 15 ans plus tard, Jean Luc Safin ne les confrontent à l'actualité de la neurophysiologie du contrôle postural pour les rationaliser sous un terme générique plus conforme à la réalité : l'orthopractie.

En effet, des années 50 à nos jours (1955, JB Baron ; 1979, H.M da Cunha) et en d'autres lieux, Baron, Fukuda, Ushio, Bourdiol, Da Cunha, Gagey, Nashner, Meyer, Massion, Paillard, Lacour, Dupui, Montoya, Da Silva .et bien d'autres ont , en parallèle, jeté les bases d'une posturologie moderne qui a globalement pour cible un Homme qui souffre à se tenir debout (et Dieu sait que nous en côtoyons dans nos cabinets !), soit de l'appareil musculosquelettique qui lui permet de résister au diktat de la pesanteur, soit de la partie du système nerveux qui en organise le contrôle.
Entre une clinique posturologique qui s'échine à mettre en évidence les pannes du système de contrôle postural et l'orthopractie qui le laisse en station debout naturelle pour mieux le soigner, chacun a compris que le contexte neurophysiologique est le même. C'est une notion essentielle parce que sur terre, l'Homme ne négocie pas avec le contexte gravitaire : sa physiologie lui est entièrement soumise. Le lien à établir avec l'avancée des connaissances dans le contrôle moteur était donc évident. Bien sûr que le progrès n'a pas que des bons côtés, mais qui choisirait aujourd'hui de se faire transfuser du sang de mouton comme au temps de la Voisin, ou de se faire arracher les dents avec une pince, etc.
On ne soigne pas avec la posturologie ; c'est une clinique d'investigation qui permet au professionnel formé à son exercice, de peser le poids respectif des entrées neurosensorielles impliquées dans le maintien postural, et la cohérence des informations distribuées. En temps normal, tout est fait pour que l'Homme se tienne debout sans s'occuper de quoi que ce soit et en dépensant un minimum d'énergie : quand ces conditions sont réunies, son cerveau est libéré pour l'exécution des tâches cognitives. Quand ça n'est pas le cas et que le système de contrôle est déafférenté par des anomalies sensorielles, il se voit dans l'obligation de recruter du cognitif pour arriver à faire le travail. Ces défauts, qui sont encore souvent méconnus ou pour le moins sous-estimés sont les pourvoyeurs de ce que Henrique Martins da Cunha a décrit sous le vocable de syndrome de déficience posturale (cf. annexe jointe).

La phase thérapeutique est ensuite dévolue aux praticiens concernés par la nature des dysfonctions mises en évidence. Jusqu'à ce jour, elle était traditionnellement faite d'une reprogrammation d'une durée de 1 à 2 ans, par manipulation des exoentrées sensorielles (oculaire, podale, voir occlusale .) du système de contrôle postural par le biais d'orthèses de stimulation (prismes oculaires, semelles.). Elle ne faisait pas à priori du kinésithérapeute un acteur princeps de la filière de soins, alors que tout le monde reconnaît qu'il est impératif d'y "mettre les mains d'abord "tant la somesthésie est indispensable au cerveau dans le décodage des informations neurosensorielles. C'est une prime extraordinaire que la neurophysiologie donne au kinésithérapeute, par l'opportunité de «manipuler » les liens informationnels (toutes les chaînes sensorimotrices qui, de la peau à la dure-mère en passant par les fascias et les viscères, possèdent des mécanorécepteurs,) qui lient obligatoirement (redondance) les informations somatosensorielles à celles des autres canaux sensoriels du SNC pour que le cerveau puisse leur donner du sens.

En validant ces pratiques empiriques, l'orthopractie introduit une conception novatrice qui propose d'utiliser des techniques spécifiques de toucher pour créer un flux haptique d'autant plus prégnant qu'il est amplifié en temps réel par le facteur gravitationnel.

L'intervention manuelle est locale, mais, bien que les différents systèmes de contrôle soient indépendants, ils n'en sont pas moins largement interconnectés, et les normalisations segmentaires s'accompagnent donc de post-effets holistiques fins, puissants, automatiques, qui n'en sont pas pour autant réflexes, puisque si les réflexes ont l'avantage d'être rapides, ils ont le suprême inconvénient d'être stéréotypés et de pouvoir s'inhiber les uns les autres. Il est obsolète de qualifier cet art thérapeutique de réflexothérapie. Par ailleurs, bien que la plupart soient étonnés de la rapidité des résultats, notamment dans la prise en charge de l'aigu, il n'est en général ni nécessaire, ni souhaitable de répéter les séances à court terme, puisque la teneur et la fiabilité des effets atteste d'un traitement du signal à haut niveau qu'il est d'ailleurs tout à fait possible de matérialiser par la lecture à J+x, des examens sur plate-forme de stabilométrie, des tests posturaux habituels, voire des scores cognitifs, en fonction des pathologies concernées.

Les techniques paraissent simples mais il ne faut pas s'y tromper, les technique exigent rythme et rigueur d'organisation. Ce qui est simple est généralement faux parce que le contrôle moteur est une activité d'autant plus extraordinairement complexe que le cerveau ne travaille pas comme un ordinateur sur de simples signaux électriques ou de la pure information, mais sur le sens qu'il peut ou veut leur donner. En langage clair, ça veut dire qu'il ne peut y avoir de traitement standard. Ça complique un peu, mais ça fait de nous des thérapeutes. Cerise sur le gâteau, l'utilisation réfléchie du facteur gravitaire en temps réel, réduit tout risque iatrogène dans les conditions normales. Du bébé au senior arthrosique ou ostéoporotique, en passant par la femme enceinte, tout le monde ou presque peut être soigné (dans la limite des indications), et ceci sans compter l'énorme intérêt qu'il y a d'utiliser ces techniques à des fins préventives.

Religieuse auprès de la cure de Grandrif, Sour "Gérard "Chabrit était reconnue comme possédant le "don de guérir " de ses mains, et elle l'a honoré gratuitement auprès d'une large population régionale jusque dans les années soixante. Jean Moneyron (1923-1994) n'a donc rien inventé. Son génie a été de croire à la justesse de ces techniques alors même qu'il devenait Docteur en Pharmacie dans les années d'après guerre, et d'avoir eu le courage de délaisser le confort de l'officine familiale et de la pharmacopée pour exercer cet art.